« Une belge attitude ! | Accueil | Le MR entubé… »

L’œil du cyclone

La Société bichonne l’homme moyen. Comme notre climat, on le veut tempéré.
C’est le résultat d’une politique globale qui tend à se défaire des extrêmes au seul bénéfice d’un archétype du bon citoyen. Celui-ci doit rassurer, travailler et se montrer enthousiaste de la qualité de vie dans son entreprise, dans son environnement familial, et dans l’exercice d’une forme apodictique de démocratie qu’il croit la meilleure.
Cette politique trouve sa justification, puisqu’elle forme un noyau de bons défenseurs qui prend son relais et fait la propagande du système à sa place.
Dans la mesure où la périphérie est rejetée dans la marginalité, les efforts collectifs ne se concentrent que sur l’homme moyen . La société devient alors son cocon, qu’il défendra sans qu’on le lui demande.
L’école, selon les propos d’hier, opère déjà une sélection involontaire, malgré l’opposition des profs aux programmes de ségrégation.
L’élève à problèmes est aussi celui qui dénonce la société à problèmes.
Ce qui ne signifie pas que tous les marginaux de la naissance à la mort soient des victimes ; mais, ils en constituent certainement le plus grand nombre.
Pour l’amour de l’homme moyen, l’école a renoncé à comprendre un autre que lui.
En accord avec le corps social majoritaire, sa volonté est d’écarter et si besoin est de détruire, tout ce qui est nuisible à son centre.

3zop.jpg

Reste à savoir ce dont est composé ce centre, afin de déterminer qui en profite.
La première chose qui frappe c’est la médiocrité de la majorité des hommes qui la composent.
Il n’y a pour s’en convaincre que de regarder ce dont l’homme moyen se repaît : spectacles, lectures, loisirs à l’image de son travail terne et peu gratifiant, intellectuellement parlant.
Ses options politiques et les personnages qu’il admire correspondent à ses choix dans l’existence, comme les concours auxquels il participe ou qu’il départage par son jugement.
Mais son défaut marquant est cette absence de décision dans laquelle il se perd. Lorsque ses mentors le laissent disposer d’une gamme de moyens, il n’en choisit le plus souvent aucun.
Incapable de regarder la mort en face, l’homme moyen transforme tout en comédie. Mais attention, il n’aborde pas la comédie fine, celle qui laisse deviner sous l’apparente désinvolture l’abîme qui est en nous, ni même la parodie, celle qui moque notre état de déréliction, notre égocentrisme ou notre veulerie ; mais la farce, la farce grossière, celle dont on dit parfois qu’elle est de mauvais goût.
Les tornades et les cyclones sont d’actualité. C’est exactement ce qui caractérise l’homme moyen (1), tout est autour de lui dans la fureur des éléments déchaînés, lui est dans l’œil du cyclone, bien au calme et il ne voit rien en dehors de son jardinet où il écoute le chant des oiseaux.
Il se noie dans l’inessentiel, se veut profond, alors qu’il n’est que futile. L’art dont il se dit expert reflète seulement son goût de l’ornement décoratif, à l’instar des objets qu’il expose sur la tablette de sa cheminée.
Il vit par délégation le destin des autres dans une fantasmagorie qui le transforme en héros, transporté par une exaltation confortable entre un pack de bière et un seau de pop-corn.
C’est son heure de témérité.
Le reste du temps, en endossant le costume gris sombre, il glisse silencieux sur les moquettes de la soumission à la recherche d’une respectabilité de façade qui en fait d’abord un valet. Aspiré par le centre, il n’est plus personne.
Sa fin dernière coïncide à peu près à l’échéance de sa dernière hypothèque qui lui a valu le titre de propriétaire de son pavillon avec jardinet.
Il quitte sous l’œil goguenard de ses semblables (tous convaincus de ne pas lui ressembler) une profession dont il n’a reçu aucune gratification morale, ni retiré aucun bénéfice intellectuel, nanti d’une décoration de première classe épinglé sur son revers de la main même de qui l’a tenu cloîtré.
Lorsque ses héritiers, après s’être querellés sur la valeur marchande et sur les parts de chacun de ses biens, vendront son local et ses objets personnels, des passants anonymes pourront se payer ses cahiers intimes et ses photos de jeunesse aux Petites Puces Saint-gilles, tombés entre des secondes mains mercantiles.
Avant l’issue fatale, le court espace entre la fin de son travail et sa mort qui aurait pu le réconcilier avec lui-même et la vie comme elle va, ne sera pas celui dont il aurait pu rêver.
Dans la foule anonyme, il aura eu le temps de pester contre les Arabes, mot-valise afin de désigner tous les étrangers, les jeunes qu’il accuse de toutes les déprédations et de tous les forfaits en association avec les « Arabes » et regretté que les Lois ne soient pas plus sévères, avant d’entrer au funérarium à la suite d’un cancer, dans l’indifférence de ses héritiers, préoccupés à leur tour de se positionner à l’intérieur du cyclone, dans son œil très exactement.
----
1. En esquissant ce portrait de l'homme moyen, je m'aperçois que dans certains quarts d'heure, j'y ressemble furieusement.

Poster un commentaire