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Un vieux dragueur.

-Mais que vois-je ?
-Mais que voit-il ?
-Mais vous ! Vous !... dans cette grande librairie…
-J’y suis deux jours par semaine. Le mardi et le samedi…
-Mais c’est qu’elle m’indique ses jours, la coquine. C’est une invitation ?
-L’entrée est libre. Qui puis-je ? Vais-je dire ne venez pas !
-Comme vous devez souffrir !
-Moi, pas du tout. Qu’est-ce qui vous fait penser ça ?
-Mariée à un cultivateur polonais, un rustre, vous si cultivée…
-Vous divaguez. C’est Martial qui vous a raconté. Attendez, je l’appelle.
-Non. Souffrez que je vous aie dit ce que j’avais à vous dire.
-Je souffrirai donc deux fois…
-Sauvez-vous, sauvez-vous donc de cet homme !
-Mais fichez-moi la paix sur mon pseudo cultivateur polonais.
-Je serai votre sauveur !
-Vous avez bu !
-De l’eau, je n’ai bu que de l’eau…
-Premièrement, il ne peut être Polonais.
-Pourquoi ne pourrait-il l’être ?
-Pas plus que cultivateur.
-Un autre rude métier de la terre, alors ?
-Pour la bonne raison qu’il n’existe pas.
-Comment ça, qu’il n’existe pas ?
-Non. Si vous voulez tout savoir, ce qui vous met dans un état pareil n’existe pas !
-C’est plus terrible que je ne pensais. Il vous bat et vous n’êtes même pas son épouse !
-Pourquoi ? Les femmes mariées auraient seules le privilège d’être battues ?
-Je sens votre drame. Ce n’est déjà plus que du passé. J’arrive !
-Combien de fois faudra-t-il dire, Monsieur Schnol, que ce que vous dites est de l’invention.
-Comment saurais-je ces détails affreux ?... l’eau que vous puisez à la fontaine, le crasset pour tout éclairage… ce monstre qui boit et qui vous laisse seule à manier les bottes de paille…

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-Pure invention. Prodige, je vous dis !...
-Pourquoi, mais pourquoi ? Ah ! je comprends vous jouez avec mes nerfs !
-Pas du tout. J’ai inventé cette histoire de femme mariée pour décourager Martial, votre ami.
-Que vous a-t-il fait ?
-Que croyez-vous qu’il me fît ?
-Martial, cet être si peu doué pour parler aux femmes…
-Justement, il ne parle pas. C’est qu’il entreprend.
-Pourquoi ?
-Je n’aime pas ce collègue, ses manières m’importunent ! C’est mon droit d’user d’un stratagème.
-Merci de la confiance que vous me témoignez…
-Je n’aurais pas dû vous dire cela. Mais comment aussi vous détrompez au sujet du Polonais ?
-Ainsi Martial… mon ami… Il est vrai qu’il est marié et que sa femme est Polonaise.
-Voilà. J’espérais éveiller en lui un sentiment de culpabilité patriotique pour qu’il me laisse tranquille.
-Vous avez réussi ?
-Hélas ! Savoir que mon mari est Polonais l’échauffe, au contraire.
-Mais alors, puisque c’est un mensonge, vous êtes une femme libre !
-Je crois, oui, à moins que vous ne fassiez comme votre ami et que je m’invente un mari hongrois.
-Vous passez de la Pologne aux Balkans. C’est curieux cet attrait des pays de l’Est !
-Et puis, je ne sais pas pourquoi je vous raconte cela.
-Je pourrais dire que c’est parce que je vous plais, mais je n’irai pas jusque là…
-Oui, n’y allez pas. Vous faites bien.
-Car vous, vous me plaisez. Vous le savez !
-Je ne le sais que trop.
-Oui, Nathalie, vous me plaisez. Tenez si je pouvais… (Il chante « la Place Rouge était vide… »)
-Monsieur Schnol, vous allez vous faire mal. Il faudra encore vous asseoir sur une chaise…
-Oui, oui, comme l’autre fois.
-…et après, on vous a ramené à la maison de repos des Mésanges !... dans un piteux état.
-Donnez-moi plutôt le tome troisième des mémoires de Saint-Simon que je le feuillette.
-Vous ne voulez pas feuilleter Amélie Nothomb ?
-Pourquoi cette question ?
-Parce qu’elle, vous n’avez qu’à tendre le bras…
-Je le tendrais plutôt dans votre direction…
-Monsieur Schnol, les clients nous regardent.
-Nous sommes seuls ! Martial est dans la réserve. Embrassez-moi…
-Vous me promettez d’abandonner le tome troisième de Saint-Simon ?
-Tout ce que vous voudrez…
-Alors revenez demain…
-Mais demain ce n’est pas votre jour.
-Justement. Vous parlerez de mon mari polonais à Martial.
-Dites-moi, mon ange, pourquoi ne voulez-vous pas me donner Saint-Simon ?
-Parce que vous savez bien que je dois monter à l’échelle.
-Et alors ?
-Et que vous levez les yeux. !
-J’ai peur que vous ne tombiez !
-Vous êtes incorrigible, monsieur Schnol ! Voulez-vous que je téléphone aux Mésanges ?
-Oui, demandez Maryse… Elle sait y faire avec les vieux…

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