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L’éloge « du Soi ».

Une bizarrerie de plus à placer en bonne place dans le registre des contradictions de cette société : entre son but qui est officiellement d’assurer le plus de liberté et d’autonomie possible aux citoyens et la réalité sociale.
Le plus grand nombre est submergé par l’archétype social. Il doit travailler, se marier, avoir des enfants et économiser pour acheter ou entretenir une maison. Il peut être politiquement correct en optant pour la gauche, le centre ou la droite, l’option anarchiste est davantage réprouvée que l’indifférence qui est acceptée tant elle sert les intérêts de l’Haut-lieu. Ses habitudes de consommation passent par les sollicitations publicitaires et les intégrations diverses dans les groupes qu’il fréquente. Ses loisirs doivent être sains et conformes à un consensus moral à évolution lente et de masse.
La voie de l’individuation tant prônée par l’option libérale est pour le moins occultée par l’unique moyen qui donne du champ à une certaine liberté : le droit d’entreprendre.
Mais la voie de l’individuation n’a pas le sens restrictif que cette société lui concède. Elle doit tendre à faire de l’être une personne réellement individuelle dans la mesure où nous entendons par là la forme de notre unicité la plus intime, dernière et irrévocable.
C’est ce qu’on appelle en psychanalyse la réalisation du Soi.
Cette réalisation n’est pas possible quand il faut se plier au concept social pour simplement satisfaire aux besoins essentiels.
C’est donc encore et une fois de plus celui dont les moyens dispensent de la réalité sociale qui peut s’il en exprime l’intention entrer dans l’individuation réelle. La catégorie à l’autre bout de la chaîne, la clochardisation, le peut aussi, mais c’est souvent au prix d’une rapide dégradation physique.

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On voit bien que vu de la sorte, c’est le collectif qui devrait l’emporter. En réalité, c’est le contraire qui se produit !
L’abdication de soi au profit d’une idéalisation du social, quand elle n’est pas un simulacre pour des raisons politiques, est une « vertu » dans le sens d’un sacrifice volontaire au profit de tous.
Cette individualisation de soi pourrait être considérée comme un égoïsme si l’égoïste n’était pas astreint au même exercice social que l’altruiste afin d’être intégré dans la société.
Cette société apparemment respectueuse de la liberté individuelle est en réalité fort avare d’individualisation.
Cette autonomie des actes et de la pensée rend, au contraire de l’individualisme libéral, plus de services à la société.
Elle s’oppose à la perpétuation d’une humanité réduite à l’obéissance dans l’accomplissement d’un devenir qu’elle n’a pas souhaité. Elle empêche la perpétuation des rites sociaux qui ne servent qu’à empêcher la réflexion et la taxinomie des choses selon un ordre qu’elle n’a pas déterminé par la raison. Enfin, elle rend l’angoisse existentielle moins lourde à supporter (1)
L’individualisation entre tous les mérites aurait celui d’empêcher que le pouvoir ne tombe dans des mains criminelles, comme celui de croire toute doctrine économique éternelle et incontournable.
Elle remettrait en question la base même déjà fortement entamée et corrompue des institutions démocratiques, et notamment des partis politiques.
Enfin, elle serait source de progrès et d’espoir ce qui par les temps qui courent est loin d’être négligeable.
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1. Malaise dans la civilisation, Sigmund Freud, in PUF, 1973, éd.

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