« Branlette ou branlée ? | Accueil | La Belgique : Byzance en 1453 ! »

Miracle au Vatican.

La nouvelle se répandit comme un dégazage clandestin sur la mer des croyants : 55 ans après sa mort, le père Roncito, un franciscain, avait soulagé un ancien mineur du petit village de Pétrifio, d’un nématode de 3 m 10. Le pauvre homme avait juste sucé un caillou du chemin conduisant au dernier séjour du moine, poussé par une voix sortie de la tombe !
Cette nouvelle parue sur un petit journal de la région fut reprise un jour creux par les plus grands quotidiens d’Italie. Le Vatican interpellé se montra circonspect, faute d’une enquête discrète qui décide, avant les faits, de leur « faisabilité ». Le père Roncito avait eu une vie exemplaire passée à dire la messe, entre les livres saints, sa haire et sa discipline. Le pape avait fini par autoriser qu’on ébruitât la chose. Un voyage éclair de sa Sainteté au couvent des franciscains l’officialisa.
Le sentier fut pris d’assaut par une foule avide de surnaturel. Les pierres du sentier s’épuisèrent rapidement. Le supérieur du couvent passa un contrat avec le propriétaire d’une carrière proche. On empierrerait tous les lundis, jour de fermeture du site.
Cet engouement ne touchait pas que les malades souffrant d’ankylostomasie, comme les anciens ouvriers du Saint-Gothard et les briquetiers. Il avait suffi de l’un ou l’autre article des journaux à vocation mystique pour qu’accourussent les pèlerins de partout, persuadés qu’un saint, même non officialisé, ne pouvait se spécialiser dans la guérison d’une seule maladie.
C’était bien vu, puisque bientôt les miracles débordèrent du cadre étroit de l’ankylostomasie.
Ces lieux mystiques devinrent très fréquentés. Des pèlerins belges s’y illustrèrent par leur foi de charbonnier...
Avant, les terrains entourant le village ne valaient rien. Le couvent acquit des oliveraies sur les conseils de Monseigneur Leopardi, expert de la curie, juste avant la hausse.

359_1000.jpg

Quelques années plus tard, le village de 456 âmes était devenu une ville de plus de dix mille habitants avec des hôtels, des bars et même un golf miniature. D’un bois d’yeuses où le père aimait se recueillir, on fit un parc public. Un réverbère qui passait pour avoir éclairé la cellule du saint les jours sans lune, fut intégré à l’autel d’une chapelle d’un style napolitain nouveau.
Tous les voyagistes sentirent le regain d’intérêt pour des lieux aussi privilégiés des cieux.
Le cariste « de l’apparition », au bord de la faillite, victime de la concurrence sur Lourdes, vit son chiffre d’affaires se redresser en organisant des voyages pour Pétrifio, cité très éloignée d’un grand aéroport. Un chauffeur de la firme lança la mode qui consistait à photographier le ciel afin de découvrir dans les nuages quelques signes d’une apparition divine. Un pèlerin d’Ans devina le père Roncito en lévitation entre deux cumulus.
Une dame d’œuvre bénévole convoya des démences paranoïdes et un syndrome d’Othello qui guérirent à toucher du pied le sol où le franciscain usa ses sandales. Cette dame avait eu tous les malheurs, ce qui lui donnait de l’autorité pour soulager ceux des autres. Le voyage long et fatiguant ne pouvait se supporter qu’à la lecture des saintes écritures et des « dizaines », (prières dites dix fois) chantées ou parlées, que le pèlerin comptait en égrainant son chapelet.
Afin d’éviter le désordre d’un laisser-aller peu chrétien la bénévole avait installé une discipline de fer, sans cela des pèlerins, tous plus ou moins féroces, se seraient battus pour éviter une place près d’une vitre mal jointe ou près du WC. Elle avait attribué les fauteuils selon son bon vouloir et nul ne pouvait déroger. Ses préférés avaient les meilleures situations. Les heures de halte pour se ravitailler et se dégourdir les jambes étaient fixées avec une rigueur militaire. L’arbitraire de la bénévole était accepté comme une épreuve douloureuse qui faisait partie d’un pré-chemin de croix, afin de mériter l’authentique. L’hypocrisie y régnait en maître. La délation était monnaie courante. Les vrais chrétiens s’y comptaient sur les doigts d’une main, ils s’attendaient au martyr ! Les autres se promettaient de dénoncer à l’employeur un chauffeur qui leur avait promis une halte à un restoroute qui se découvrit être une simple station-service.
L’église préconisait des agrandissements, rêvait d’une esplanade pouvant accueillir cent mille personnes, devant une crypte géante où reposerait la dépouille du père Roncito. Le petit chemin du cimetière avait été déposé à l’intérieur d’une basilique, on y jetait des billets de banque que les franciscains ramassaient la nuit. Le jour, un père vendait des cailloux de la carrière voisine à un euro les petits et jusqu’à dix euros les gros.
Une après-midi d’octobre, les ouvriers s’affairaient à un parcours pentu afin d’y dessiner un chemin de croix qui aurait été la vitrine du kitch italien en mosaïques pompéiennes, lorsqu’un miracle d’une autre nature se produisit, un liquide visqueux d’un brun foncé sortit du flanc de la montagne sacrée, inondant le chantier en flots impétueux et remplissant rapidement les dépendances de l’église. C’était la manière de Satan de montrer son mépris des hommes.
Il se tint un conseil dans les instances supérieures de la prélature.
Il y avait sous les propriétés de l’Eglise au moins trois cent mille barils de brut !
On ne sait comment la chose fut répandue, on dit, qu’instigués par Banneux, des pèlerins belges et la bénévole soufflèrent le vent de la révolte à la dévotion du père Roncito.
On déménagea les douze franciscains du couvent à trois cents kilomètres. Un communiqué sur la vie du père Roncito émanant du Vatican mit en doute sa moralité, en tant que volontaire au service du duce dans les années 40. On dit même qu’il présenta Clara Petacci sa maîtresse à Mussolini qui en fit la sienne. Enfin, on fit un procès au patron de la carrière de pierres d’où s’extrayaient les cailloux miraculeux, sous prétexte qu’un caillou n’a pas la même valeur aux yeux de l’Etat selon qu’on le vende à la tonne ou à la pièce. Une contre-expertise sérieuse du corps médical permit de nouveaux diagnostics infirmant les anciens sur les guérisons miraculeuses. Un comité de l’Opus Dei risqua le terme de supercherie !
Aujourd’hui deux compagnies pétrolières exploitent le site. Le Vatican envisage de créer sa propre compagnie, l’acronyme de la raffinerie n’est pas encore connu, un abbé qui proposait la JC s.a. a été fortement gourmandé. Quant aux habitants de Pétrifio, ils sont retombés à 280 et ne s’en portent pas plus mal.
Sylvio Berlusconi verrait bien une compagnie mixte d’exploitation avec le Vatican, évinçant ainsi l’étranger dans une affaire dès lors à 100 % italienne.
Les cars « de l’apparition » ne roulent plus. La société est en faillite.

Commentaires

Une bien belle histoire, pas très catholoique,je ne me lasse pas de vous lire mon cher Duc.

Poster un commentaire