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Je pense, donc j’ai tort.

Comme l’âne, il faut braire aujourd’hui pour avoir du son. Mais il faut surtout que le braiement coïncide avec la « vérité » officielle. Il faut braire juste et ce n’est pas évident.
Si bien que les gens qui disposent de la parole dans un milieu convenu, subventionné par les autorités, ne savent plus s’il faut faire l’âne ou la fermer.
C’est vrai dans le domaine culturel. Comment braire selon la couleur de la municipalité, si l’on veut émarger à un budget culturel, sinon se tenir au courant avec la mise à jour d’un répertoire communal des majorités !
La pandémie n’a fait que renforcer cette impression de pesanteur obligée sur le discours.
Roland Barthes, voit la langue « fasciste » (elle se suffit à elle-même pour s’autocensurer). Nous fabriquerions un art artificiel de la parole converti à la pensée unique, en application à la fiction de « 1984 » d’Orwell. Les partis de pouvoir et le libéralisme font cause commune aujourd’hui. Voilà qui limite le bien dire à la spéculation et au marché. Sous peine de sanction, nous nous exprimons selon certaines voies soigneusement balisées.
L’injonction de silence pour les opinions contradictoires va jusqu’à leur inexistence officielle. Une opinion qu’on entend nulle part, n’existe pas. Par contre l’injonction de parler et d’agir en suivant les recommandations du Pouvoir est omniprésente, de la presse toute de la même opinion, aux mandataires culturels audibles.
L’État occidental marchant dans les pas du système économique unifie la communication dans une gestion commune. D’une instance d’interdiction, nous passons à une instance de proposition orientée, sans nous en rendre compte. Désormais, la censure procéderait plutôt par normalisation, standardisation, que par sanction, le comportement « volontaire » tendant à remplacer l’action des organes de pouvoir.

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La société disciplinée s’est rangée à la censure inévitable et qui n’est même plus considérée comme telle. « Être pour ou contre la censure comme telle revient à affirmer une liberté que personne ne possède. La censure est. On peut seulement distinguer entre ses effets plus ou moins répressifs ». Michael Holquist.
Pour l’élite la censure tend à assurer un certain ordre dans un monde social hétérogène. Si la censure existe dans les médias, ce n’est pas pour les empêcher de dire, mais pour les empêcher de dire à contre-courant de la pensée dominante.
Les comités de lecture sont là pour vérifier la conformité à l’orthodoxie.
Le mode de vie idéal, celui vers quoi la société tendrait, est celui de la réussite bourgeoise intégrée dans l’évolution « heureuse » du capitalisme.
Elle exclut de fait les classes inférieures et organise la liberté en fonction de ses critères.
L’Etat, en poussant sa logique de la censure, traite celle-ci comme une thérapeutique administrée aux classes inférieures. Si la censure est partout, est-elle encore identifiable ?
Quand Deborsu sélectionne pour RTL les candidats au micro-trottoir, il agit comme un maître d’école qui sélectionne les « bonnes » réponses, laissant quelques « mauvaises » pour que le public en voie l’outrance.
La censure s’est intégrée à la démocratie et fait partie de notre quotidien, comme la Covid-19. Sauf qu’elle est parfois plus invisible que le virus, comme un réflexe que nous aurions, une mauvaise habitude de langage intégrée par paresse et commodité. Elle est souveraine dans des phénomènes tels que le choix, la sélection, le canon esthétique, la régulation, la norme, etc. Censure, société, civilisation apparaissent comme des termes équivalents, interchangeables. En conséquence, les distinctions entre des systèmes de pouvoir extrêmement différents sont niées. Peut-on parler en toute rigueur de « propagande » ou de « censure totalitaire » pour désigner un discours dominant en régime démocratique et libéral, même pour évoquer le marché ou la publicité ?
Il est difficile de renoncer au rêve d’une société sans tabous, sans interdits, sans contrôle ; mais le contrôle est inhérent au système, en tant qu’il suppose l’existence de liens qui l’organisent et le structurent.
La censure au sens strict, c’est-à-dire l’intervention autoritaire et arbitraire d’un tiers dans le procès de communication, ce sera, peut-être, pour demain l’ultime défense, avant l’effondrement de la société marchande.
« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux » Benjamin Franklin

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