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Monfils a tort...

…puisque, selon Guitry, « mon père avait raison » !

Déposer un bulletin dans l’urne ou ne pas le déposer, telle est la liberté du citoyen dans presque tous les pays d’Europe, sauf en Belgique, au Luxembourg et en Grèce.
Dans ces trois pays, bouder le vote c’est un délit. Ailleurs, s’abstenir est une manière d’affirmer qu’aucun des partis sollicitant le suffrage des citoyens n’a convaincu. C’est donc un acte citoyen qui a un sens.
En Belgique, le comptage des voix inclut les votes blancs ou nuls. L’obligation de se présenter au lieu mentionné sur la convocation et donc de participer aux opérations de vote quand on n’en a pas envie, fausse le scrutin. Certains partis, plus anciens que d’autres, font partie des habitudes parnurgiennes des populations et bénéficient de ce vote obligatoire, au détriment des nouveaux moins ancrés dans la mémoire collective, puisqu’il n’y a aucune école du citoyen (1).
C’est sans doute le cas du PS et du MR, vieux partis dont l’histoire intime dispose de toute la force du passé de ce pays depuis au moins les cent dernières années.
On comprend mieux pourquoi le sénateur Philippe Monfils, MR, défend l’obligation de vote. Lui qui d’habitude se contente d’admirer Didier Reynders pour tout travail parlementaire personnel, s’est fendu d’une longue diatribe sur la question. Il a peur de n’être plus légitimé, comme s’il l’était aujourd’hui, alors que c’est son chef de file qui lui procure son gagne-pain en le plaçant sur la liste électorale MR dans un ordre utile à sa réélection.
Venant de la part d’un libéral qui se dit attaché aux libertés, même si ce ne sont que les libertés d’entreprendre qui l’intéresse, ruer dans les brancards pour ne pas rendre la liberté aux citoyens d’aller ou non aux urnes, est assez paradoxal.
Venant du Talleyrand liégeois, ce n’est pas étonnant.
Voyons ses arguments :
« Ce n’est pas au moment où se développent des sentiments très profonds d’antipolitisme, de poujadisme, que l’on doit se permettre de supprimer le vote obligatoire. Il n’y a pas tellement de pays au monde où l’on peut se vanter d’avoir un vote libre et qui aboutit réellement à l’instauration d’un Parlement démocratiquement élu. »
On a compris. Les citoyens de plus en plus nombreux qui s’opposent à ce que les partis politiques poursuivent la confiscation de la démocratie à leur seuls avantages où voulez-vous qu’ils s’expriment, puisqu’on refuse de les entendre ? Il ne leur reste plus que l’alternative de marquer leur différence en s’abstenant de voter.
Prenons mon exemple : pour qui dois-je voter, puisque tous les partis, droite et gauche, sont pour le système économique qui a montré ses limites en 2008 ? Où voulez-vous que je milite pour une démocratie plus sociale, plus propre, parmi ces corrompus ?
Qu’importe, on ne veut pas entendre la plainte des opposants sans parti. Non, Monsieur Monfils, ce ne sont pas des poujadistes, des extrémistes comme vous le prétendez, mais des gens qui se sentent abandonnés par le genre de démocratie que vous portez aux nues. Ils doivent voter. Cela vous arrange bien. Sans doute parce que le nombre des abstentions serait trop important. Cela deviendrait gênant pour votre « glorieuse » carrière.
C’est tout le style de notre Talleyrand de mêler l’antipolitisme au poujadisme. Ainsi, on ne sait pas qui est qui. En jetant l’anathème sur tout qui n’est pas derrière sa conception particulière de la « démocratie », il empêche de fait un débat sur ce que devrait être la démocratie et ce qu’elle n’est pas en Belgique. Lui, c’est le meilleur démocrate possible, les autres qui ne veulent plus voter tant ils sont écoeurés devant le spectacle que lui et ses pareils donnent à la nation, sont des extrémistes…
« Supprimer le vote obligatoire, c’est l’aventure. Je suis certain qu’un certain nombre de personnes iraient à la pêche le jour des élections, et cela fera le jeu des extrémistes. Parce que dans l’isoloir, le Belge reste assez raisonnable. »

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Voilà bien les pêcheurs à la ligne qualifiés de dangereux extrémistes ! A suive ce raisonnement, le Belge qui ne voterait plus deviendrait un dangereux extrémiste et lorsqu’il vote, cette simple action le débarrasse de ses mauvais penchants au point de devenir raisonnable et de voter MR !
Le reste du délire est aussi édifiant :
« C’est quoi le droit ? Pour moi, le droit de chacun, c’est précisément avoir la possibilité de choisir ses élus. Je suis persuadé que si on arrivait au vote facultatif, vous verriez la légitimité des élus tout de suite mise en cause. Des gens pousseraient des hauts cris : “Regardez ce gouvernement, il n’est soutenu en réalité que par 14 %.” Je préfère de loin être l’élu de 90 % des gens que l’élu de 34-45 % des gens qui se sont déplacés pour voter. »
Donc, Monfils l’avoue enfin, il serait en réalité soutenu par 14 % des voix à peine – sans doute beaucoup moins - mais derrière son chef, les pauvres types qui vont aux urnes en traînant les pieds font 90 % des citoyens, ça grossit les supporters du MR !
C’est justement parce que cette démocratie n’en est plus une vraiment, qu’aller voter pour déléguer « les pouvoirs » à des présidents de parti qui désignent arbitrairement les députés, n’incite pas particulièrement le citoyen à donner son avis, puisqu’on n’en tient pas compte !
J’attends toujours que Monfils, par son exemple, me donne envie d’aller voter.
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1. On supprime un peu partout les heures de morale, alors que c’est le cours idéal pour faire des citoyens. Un sondage a montré que l’électeur moyen est inconscient de ses droits. Un nombre encore plus élevé est incapable de dire comment le système fonctionne. A leur décharge, la Belgique est un pays compliqué.

Commentaires

Dans certains cas l'obligation de vote peut être utile à la démocratie dans le sens du suffrage vraiment universel.
Certains auraient préféré se foutre une cuite plutôt que de devoir se forcer à choisir (hélas, choisir c'est renoncer, non?).
Il est évident d'autre part qu'en 1921, les ouvriers et les "précarisés" auraient eu peur d'être mal notés par leurs patrons ou
autre notables dominant bien installés au pouvor s'ils allaient voter.
De même en 1949, et cela revient maintenant avec le machisme médiéval des soi-disant musulmans rétrogades,
certaines femmes auraient eu peur d'aller voter (à moins d'être voilées ???), et auraient pu s'abstenir de venir, s'il n'y avait pas l'obligation.
Pour moi l'obligation devrait surtout être intéressante pour les pouvoirs organisateurs : obligation de faciliter en tout l'accès au vote.
Dans ce sens j'ai trouvé aberrant que les adminstrations communales aient mis carrément des batons dans les roues pour le vote des belges de l'étranger.
Je trouve aussi que l'on devait permettre, même dans le vote électronique, d'émettre un vote de protestation différent d'un vote "blanc".

Je pense que le vote obligatoire est une bonne mesure. Elle oblige au moins les plus démunis à se déplacer, ce qui n'est pas le cas losque le vote n'est pas obligatoire. Si le parlement européen était élu par un système de suffrage obligatoire, les libéraux la ramèneraient moins. Dans la grande majorité des pays où le vote n'est pas obligatoire, ne pas voter c'est devenir un "métèque" dans la cité. Mon ultime argument étant que la gauche y perdrait car les riches votent plus que les pauvres.

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