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L’indépendance de la presse.

Vit-on jamais un journaliste s’appeler Mouton et se poser des questions sur l’indépendance de la presse ? Non, me direz-vous, ce serait trop beau, puisque la réponse à ses questions tient dans la signature.
Eh bien ! cela existe ! C’est au Soir, dans le plus grand journal encore en activitté, que cela se passe.
Après l’éviction de Béatrice Delvaux, la patronne de la rédaction, le dirlo du journal, Bernard Marchant (avec un T et pas un D, ce serait trop beau), décida de frapper un grand coup.
Peu satisfait des douze travaux d’Hercule, travestis en douze tabous de la société belge, Monsieur Marchant se mit en tête d’en suggérer un treizième aux lecteurs du Soir. Il ne pouvait décemment pas désigner lui-même l’indépendance de la presse comme tabou ultime.
Et devinez quoi ? C’est justement ce que les lecteurs choisirent, braves lecteurs qui lisent à cœur ouvert dans le nouveau deus ex-machina de la famille Rossel (tout au moins ce qu’il en reste), d’où l’exercice de style du dénommé Mouton.
Selon le susdit, la presse serait bel et bien indépendante.
Eh ! bien, je soutiens le contraire. Et pour plusieurs raisons.
Je retranscris texto un extrait du rapport Mouton.
« Chacun met sous le terme “indépendance” quelque chose de différent, souligne Jean-François Dumont, vice-président de l’Association des journalistes (AJP). En résumé, est indépendant ce qui correspond à mon point de vue. Et puis, il y a tellement de fantasmes. Un journaliste indépendant serait un journaliste qui n’aurait pas d’employeur, pas d’annonceur mais qui aurait les moyens de faire une enquête, qui n’a pas trop de sources proches mais quand même superbement informé… Cette image idéalisée n’existe pas. Le journaliste est un équilibriste qui vit dans un système de contraintes. Il a des poids au bout de sa perche : l’employeur, les sources, le public, lui-même. Et il fait avec. »
C’est exactement ce que je pense sans faire des trémolos autour de la vie et l’œuvre de J-F Dumont. Mais il convient d’y ajouter quelques petites choses.
Il y a d’abord la question philosophique. Les journalistes viennent de différents milieux desquels ils ont appris la vie sociale et intellectuelle qui les caractérisent. Il est quasiment impossible pour quelqu’un même de très honnête, de faire une relation stricte des faits sans porter un jugement, ne serait-ce que par le choix des mots, aussi faible soit-il, qui trahit une pensée secrète, une appartenance, un milieu, une éducation.
On a bien vu lors des récentes émeutes en Grèce, combien le journaliste du Soir était attaché dans sa simple relation des faits, à la société libérale dont il est issu.
Cela est encore plus visible aujourd’hui, alors que cette profession est pratiquement toute offerte aux diplômés d’école de journalisme. Ce diplôme est un filtre supplémentaire à la « vie sociale et intellectuelle », afin d’accentuer les points convergents ou « lieux communs » des diplômés entre eux, depuis les milieux de départ différents, par une matière assimilée uniforme, qui n’est à y regarder de près, qu’une copie conforme de la société dans laquelle nous vivons.
Quelques grands noms du journalisme ont tous un point commun, aucun n’est allé s’assécher dans une école de journalisme. Ce qui ne signifie nullement qu’ils ne savaient pas manier la langue française.
Albert Londres, au départ comptable, Raphaëlle Bacqué, droits politiques, Edwy Plenel, sans diplôme universitaire, Christophe Barbier, école supérieure de commerce, Jean-François Kahn, licence d’histoire, etc., sans compter de plus anciens du métier comme les libellistes et pamphlétaires, venus de tous les métiers, typographe, charcutier, relieur, etc., qui firent les grands soirs de la presse dite populaire, mais aussi d’opinion, d’Emile de Girardin à la mort de Clémenceau en 1929.

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Ce qui ne veut pas dire que faire des études professionnelles conduisent à être « mauvais », cela signifie que cette profession, en réalité se fait à l’instinct, et que c’est la diversité qui fait l’attrait d’un journal.
A cette influence du milieu, s’ajoute, bien entendu les ressorts cachés qui font de la presse d’aujourd’hui, ce qu’elle est : un miroir qui reflète les intérêts des propriétaires des titres, pour une démocratie par procuration offerte aux élites, dans un univers économique très conservateur dans sa forme et ses concepts.
Et c’est logique. Un propriétaire n’investit pas dans un journal pour s’y faire engueuler. Les journaux sont les chantres d’une seule opinion, diversement nuancée, mais partagée par toutes les entreprises de presse. Il faut beaucoup d’argent pour lancer un titre. Un titre, qui reflèterait une autre sensibilité que l’opinion générale, a très peu de chances de passer l’année de son lancement.
Que Jacqmin de la RTBF se rassure, il n’a pas besoin de demander l’opinion de ses rédacteurs, ils sont tous strictement sans aucune opinion, même quand il s’agirait drôlement d’en avoir une.
C’est probablement ce qui finira par avoir la peau de la grande presse (de la RTBF c’est déjà fait, elle n’existe que par le fric des contribuables doublement frustrés).
Ce que pensait Albert Londres du métier de journaliste, dans les années 20, est toujours d’actualité « Je demeure convaincu qu'un journaliste n'est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n'est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie».
Dans les treize tabous de la société belge de Monsieur Marchant, ainsi que dans les réponses « suggérées » ou réelles des lecteurs du Soir, on y trouverait difficilement une plaie.

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