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Oraisons funèbres croisées.

Nous entrons dans la semaine des enterrements. C’est ainsi. Les grands événements se suivent. Le tumulte dure quinze jours, puis s’éteint comme les bougies. Et on attend vainement qu’il se passe quelque chose qui distrairait le lecteur de la misère et du chômage !
Ce lundi et pour quelques jours encore, grâce au ciel, les gazettes auront de la copie. Les staffs s’apprêtent à célébrer l’enterrement de Mandela. Dans le pays de Madiba, plus il y a de Rands, plus l’enterrement dure. On en a pour une bonne semaine à collationner des discours aussi bien sentis que les 700.000 mots de reconnaissance éperdue de Flahaut aux contributeurs de son bien-être.
En parler, nécessite une mise au point. Peut-on respecter les morts en ne respectant pas ceux qui font profession de les honorer ? Vaste débat perdu d’avance, tant l’opinion aime déifier certains disparus au point d’englober dans le personnage qui nous quitte ceux qui tiennent les cordons du poêle et qui n’ont pas du tout l’intention de l’imiter. Et malheur aux esprits chagrins qui n’amnistient pas les contempteurs du système camouflés parmi la foule recueillie jusqu’au cimetière et qu’on verra finalement partout.
Spécialisée dans les commémos depuis qu’elle s’est recentrée sur le métier d’éditorialiste, Béatrice Delvaux ne pouvait rester sur un seul trépas.
Elle s’est donc publiquement transpercée et déchirée à la mort d’Yvon Toussaint un journaliste maison, mort à quatre-vingts ans d’une vie bien remplie consacrée à la famille Rossel. Le malheur de mourir en même temps qu’une star réduit l’événement à une péripétie. C’est bien de la part de l’éditorialiste du Soir de faire une place à feu Yvon Toussaint.
Je ne conteste pas la sincérité de ses propos, ni du respect que l’on doit « à nos chers disparus », mais son éditorial mérite quelques commentaires.
Évidemment, Toussaint n’est pas Mandela. Ce dernier à vécu quinze ans de plus et pas seulement honoré parce qu’il est connu pour sa longévité.
Toussaint est un des rares privilégiés qui a pu vivre de sa plume en Belgique. La corporation va en s’éteignant, elle suit celle des typographes et cette presse au plomb et aux lecteurs que tout le monde regrette. Mais combien d’eau, le malheureux, n’a-t-il pas été obligé de mettre dans son encre pour la rendre sympathique aux yeux de la famille propriétaire du journal ?
Il y a une ressemblance qui lie les deux disparus de la semaine.
L’un a perpétré ses coups d’audace pour vaincre les différences à une telle distance de nous qu’il en est à tout jamais intouchable. Celui de Béatrice, six pieds sous terre, n’est plus là pour témoigner de sa carrière, de ses œuvres, de ses choix et protester, éventuellement, de ce qu’on écrit sur lui. Il conviendrait que les Anciens du Soir s’en chargeassent. Ce serait élégant de le faire en termes chaleureux et filiaux à la fois.
Autant en faire un don Quichotte qui toute sa vie rompit des lances en faveur du savoir, de la culture et de la vérité. A part Nietzsche, personne ne croit au surhomme. Ce n’est pas le moment de chipoter sur « l’immense » dans l’exemple et pourtant, une vie de leader et une vie de journaliste se rejoignent sur un point. Je déduis de ce que j’en ai lu, sans n’en tirer aucune conclusion : ce ne sont que des hommes ! Pourquoi, diable, en vouloir faire des légendes ? N’est-ce pas suffisant de savoir qu’ils ont assumé leur condition, sans peur, mais jamais sans reproche, sans quoi où serait leur humanité ?
Yvon Toussaint, s’il fut une grande plume au service d’un journal, ne fut jamais un grand défenseur des opprimés, une sorte de socialiste à l’ancienne comme l’était Jack London. Il avait compris que pour faire carrière dans un journal, s’il faut être au service de la vérité, il est des vérités qui ne sont pas bonnes à dire.
Inutile de faire un dessin, Madame Delvaux l’a compris.

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Je suis incapable d’écrire si elle a bien cerné le personnage pour faire un portrait juste, tout ce qu’on en peut dire, c’est qu’elle a tracé de l’homme un croquis dont peuvent être fières les familles Rossel et Toussaint.
C’est toujours ça.
Elle use d’une remarque sibylline « …le journalisme de combat qui fait que notre vie est devenue plus qu’une vie, mais une mission au service de la nouvelle et de ce lecteur que nous nous devions, disait Yvon, de servir avec rigueur, talent et indépendance. », quel combat ? quelle grande cause ? quel « j’accuse » du père Zola ? Là, je suis perplexe.
Le public se souvient qu’Yvon Toussaint était opposé à la présence de Hersant dans le Conseil d’Administration du Soir et qu’il présenta sa démission en 1989 du poste de rédacteur en chef, dès qu’il y fut. C’était bien d’avoir fait ce qu’il dit qu’il ferait. Voilà pour le combat !
Ce fut un beau scandale. La presse en frémit encore. La Famille Rossel déchirée, la boutique en déséquilibre, l’avidité et l’amour des sous contre l’avidité et l’amour du journal ! C’est bien dommage que Madame Delvaux n’en ait soufflé mot !
Pudeur ou prudence ? Les temps sont tellement durs.

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