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Frivoles s’abstenir.

Notre société avance dans ses incohérences et sa logique. Elle ne va pas nécessairement vers un progrès, en l’espèce, une meilleure répartition des droits au bien-être de chacun. Elle peut progresser vers des régressions qui peuvent être des catastrophes.
Nous sommes dans un cadre logique des rapports très anciens entre le plus grand nombre et les chefs, qu’ils soient issus de l’ancienne aristocratie, du suffrage universel, d’héritages ou des banques.
La Belgique est un pays gouverné par un panaché des quatre, un roi, des ministres, des héritiers et des banquiers.
Chaque jour voit les derniers prendre de l’ascendant sur les premiers, au nom d’une logique qui s’appelle le marché mondial. Le devenir de cette logique est simple : comme il est impossible d’égaliser les hommes par le haut, il faut les égaliser par le bas.
Cette logique serait fondée sur l’Universel, si l’initiative était prise par la collectivité mondiale, mais elle est en réalité le produit d’une concertation des chefs en vue de leur enrichissement plus rapide.
C’est une conjuration visible jusqu’aux magazines people qui étalent des destinées qui ne seront jamais possibles pour 99 % d’humains.
Tous les jours nous voyons les effets de cette logique.
C’est la Banque Nationale qui insiste sur le fait que les travailleurs doivent travailler plus longtemps, alors que Delhaize s’apprête à licencier ou à prépensionner des travailleurs âgés.
Les économistes l’affirment "Le lien entre l'âge et le salaire est préjudiciable à l'augmentation du nombre de travailleurs plus âgés". Logique, toujours, puisque dépossédés de ses connaissances par le travail fragmenté et en poste, il n’y a plus d’ouvriers qualifiés, mais des ouvriers spécialisés, comme il n’y aura plus bientôt que des employés spécialisés d’écran d’ordinateur. Le savoir n’existant plus, le travailleur âgé n’a plus rien à transmettre. Il est plus lent, plus vite fatigué, etc. donc plus coûteux.
À l’abri – pour combien de temps ? – les professions libérales.
Les médecins usent de machines plus performantes qu’eux pour poser des diagnostics. Les avocats sont régulièrement dépassés par les robots qui déterminent le Droit. Les notaires sont supplantés par des banquiers plus « fins » placeurs de fonds, alors que les actes notariés sont sur formulaires types.
Des gens, pourtant réputés intelligents, comme Marc De Vos, professeur de son état, pensent très sérieusement « qu'il faut couper le cordon entre l'âge et le salaire". Il ne sait pas, le pauvre innocent, que lorsqu’on a des ciseaux dans les mains, on ne s’arrête pas de couper.

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Il a sans doute raison par rapport à la logique du pire que j’évoquais au début de cette chronique.
La question est de savoir jusqu’où l’Homme suivra ses maîtres ?
Kant donne un zéro sur dix à tous ces profs d’une certaine logique, incapables d’en désigner une autre en rapport avec l’humanité, comme le philosophe de l’idéalisme transcendantal l’a enseigné toute sa vie à Königsberg.
« L'homme est un animal qui, lorsqu'il vit parmi d'autres membres de son espèce, a besoin d'un maître. Car il abuse à coup sûr de sa liberté à l'égard de ses semblables; et quoiqu’en tant que créature raisonnable il souhaite une loi qui pose les limites de la liberté de tous, son inclination animale égoïste l'entraîne cependant à faire exception pour lui-même quand il le peut. Il lui faut donc un maître pour briser sa volonté particulière, et le forcer à obéir à une volonté universellement valable ; par là chacun peut être libre. Mais où prendra-t-il ce maître ? Nulle part ailleurs que dans l'espèce humaine. Or ce sera lui aussi un animal qui a besoin d'un maître. De quelque façon qu'il s'y prenne, on ne voit pas comment, pour établir la justice publique, il pourrait se trouver un chef qui soit lui-même juste, et cela qu'il le cherche dans une personne unique ou dans un groupe composé d'un certain nombre de personnes choisies à cet effet. Car chacune d'entre elles abusera toujours de sa liberté si elle n'a personne, au-dessus d'elle, qui exerce un pouvoir d'après les lois. Or le chef suprême doit être juste en lui-même et pourtant être un homme. Cette tâche est donc bien la plus difficile de toutes et même sa solution parfaite est impossible : dans un bois aussi courbe que celui dont est fait l'homme, on ne peut rien tailler de tout à fait droit. La nature ne nous impose que de nous rapprocher de cette idée. » (1)
Deux constats : l’attitude imbécile générale à l’égard des chefs, du plus petit au chef suprême ; l’impossibilité du chef d’oublier sa nature pour le bien public.
Conclusion : l’Homme, ce roseau pensant, a, dans les circonstances présentes, son cerveau silurien qui dévore son cortex. En cause : une logique de l’abaissement général dont les chefs en font une sorte de devoir sacré. Nous n’y échapperons pas. Cette civilisation est close. Nous sommes descendus des arbres, la mondialisation nous aide à y remonter.
La prochaine étape de régression est toute tracée en Belgique. Les temps sont mûrs pour le contractuel, le précaire, l’intérimaire. Le stade suivant sera la suppression du droit de grève.
Et il se trouvera une flopée de profs, d’économistes, de politiques pour nous dire que cette réforme est vraiment indispensable.
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1. KANT : Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique.

Commentaires

"Nous sommes descendus des arbres, la mondialisation nous aide à y remonter". Hélas, ils les auront tous coupés avant...

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