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Tous des gérants !

La grève des taxis en France face au phénomène UBER est une illustration de ce que notre travail va devenir dans le futur. En cause, l’évolution des techniques, de l’offre et de la demande, dans ce qui devient un énorme réservoir de capacités humaines sous-employées.
L’économiste américain, Robert Reich, a très bien analysé cette évolution rebaptisant les secteurs touchés «l’économie du partage des restes».
En voici la définition : «De nouvelles technologies informatiques rendent possible le fait que pratiquement tout emploi puisse être divisé en des tâches discrètes qui peuvent être morcelées entre travailleurs le moment voulu, avec une rémunération déterminée par la demande pour ce job particulier à un moment particulier».
Ce système voit le chômeur grappiller quelques revenus qui l’aident à survivre, sur le temps que le chômage global augmente du fait de cette pratique qui fait perdre des emplois à temps plein. On voit le cycle infernal.
Dès la sortie de la guerre 40, Georges Friedmann avait réfléchi sur la perte de sens du travail provoquée par la division extrême des tâches. La décomposition en plusieurs tâches simples d’un ensemble compliqué procède des méthodes de Taylor et touche au behaviorisme, tendant à faire perdre aux travailleurs la maîtrise de la connaissance complète de ce qu’il produit. C’est un procédé bien connu, rejeté par les syndicats lorsqu’ils étaient soutenus par une pensée politique forte. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Je me souviens avoir déjà écrit là-dessus voilà près de dix ans. Ce n’est malheureusement qu’à l’expérience – ici, c’est le drame des professionnels des taxis – pour qu’on accorde quelques crédits à la dénonciation de ce phénomène, quand il est presque trop tard.
La période de plein emploi est terminée. Le stade actuel des systèmes Taylor et Parker connus dès avant la guerre 40, va passer en application non plus des tâches entre elles (c’est fait), mais bien des travailleurs eux-mêmes (en cours). Désormais de plus en plus de demandeurs d’emplois seront contraints pour survivre, de ramasser çà et là, des miettes d’activité micro-rémunérées, dans des entreprises qui ne seront que des centrales de décisions et qui sous-loueront leur carnet de commandes à ces genres d’exécutants, moyennant une ristourne.

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Piketty et d’autres ont déjà parlé d’une société totalement fluidifiée. UBER en est une illustration, rendue possible par les progrès du numérique. Voilà trente ans que le processus est en cours, quand les sociétés d’intérims ont vu le jour vendant à des entrepreneurs que ça arrangeait, du travail temporaire sur de courtes périodes. Les pertes d’emploi à temps plein datent de ce temps-là, mettant en concurrence des travailleurs indépendants, des free-lances et des intérimaires venus des sociétés louant leurs services.
Et on n’a encore rien vu.
Le magazine américain Fusion a calculé le montant des cotisations qu’assumerait Uber par chauffeur aux États-Unis, si ces derniers étaient des employés à temps plein de la firme, soit 10.000 dollars par chauffeur sur douze mois. Le statut d'indépendant implique que les chauffeurs acceptant le contrat d’UBER, achètent leur véhicule, paient leur essence et sont responsables de tout litige avec la clientèle.
De glissement en glissement, cette économie astucieuse sur l’intérêt et le rendement fera bientôt que les travailleurs seront réduits à la technique pratiquée sur les meutes des anciens chenils. On calculait la nourriture pour moins de chiens que la meute en comptait, si bien qu’il y avait la lutte pour la survie. Seuls restaient les plus forts, ce qui améliorait la race par sélection.
Puisque la démocratie a plié bagage et qu’elle s’est retranchée du pouvoir économique, sauf à balayer ces inutiles que sont devenus les élus pour en chercher de meilleurs, il faudra que la génération qui monte s’adapte… ou crève.

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