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L’Internationale, en fin de compte.

Ah ! la vie est bizarre. Il n’y a plus qu’à dire qu’elle finit toujours mal. C'est l’asservissement à l’inexorable de penser cela. On se voit à l’aube, la boîte à tartines sous le bras, s’en aller bosser, si l’on peut, ou satisfaire aux exigences du chômage, piteusement expliquer à l’employée qui vous reçoit, que les temps sont durs et que vous êtes prêt à aimer n’importe quel patron qui voudra de vous.
Sans le savoir, vous humiliez la préposée qui a votre dossier devant elle, ancienne chômeuse elle-même, repêchée et sortie de sales draps, grâce à un concours de circonstances plus important que son diplôme HEC. Elle aussi s’était aventurée à aimer n’importe qui pourvu qu’on l’embauchât.
Depuis le temps qu’elle a choisi son rembourré à côté du chauffage central, elle ne discute plus avec sa conscience. Elle vous sanctionne pour sauver son emploi ! Ne lui en voulez pas. Ils sont des milliers dans son cas. Comment croyez-vous que ce système fonctionne ?
Mais non, chaque jour nouveau est un jour de mise au point, un jour de combat…
C’est une société qui vous ignore. Vous n’êtes pas le seul à être méprisé. Qu’est-ce qui vous empêche de l’ignorer aussi ? Votre talent, vous en avez-un parce que tout le monde en a un, ne peut pas vous aider à aimer la vie par un travail agréable puisque vous le savez bien, on n’engage pas les artistes, les bons bricoleurs, les collectionneurs, les méticuleux, les habiles à tout et les intellectuels. On n’engage que des bras qui font encore ce que la machine ne peut pas faire, des cerveaux réduits à l’état de comptable puisque les six chiffres sur des fûts de bière frappés dans le chêne sont illisibles par l’électronique d’un capteur, qu’entrer et sortir d’entrepôt-glacière endommage les moteurs des charriots et qu’enfin remplacer les rouleaux de papier dans les WC de la direction ne peut pas se faire par la secrétaire.
Vous voyez d’ici la monstrueuse déperdition des capacités et l’impitoyable distance entre ce que vous aimez faire et ce que vous faites !
Certain matin, je me lève en me disant qu’il faut absolument que je fasse quelque chose pour faire comprendre aux gens du dessus que les gens du dessous en ont assez des directives et des raisonnements dans lesquels vous ne comptez pour rien.

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Ce qui m’exaspère le plus, c’est l’emballage dans lequel nous marinons tous et qu’ils appellent la démocratie, au nom du principe de respect du plus grand nombre, d’un consensus général soi-disant incontournable, etc. Alors que nous savons comment la machine à broyer fonctionne, et comment certains pour y échapper entrent en délinquance ou se suicident.
Délinquant ? pourquoi pas après tout, plutôt qu’aller se pendre dans un réduit obscur pour ne pas gêner les gars de la morgue. Mieux, rester libre dans sa tête et envoyer tous les salauds au diable, c’est le réflexe de survie qu’il faut avoir. Militez, si vous le voulez, dans un parti que le pouvoir n’aime pas.
Mais surtout ne pas se pointer au boulot, accomplir des tâches répétitives et imbéciles, toujours dans l’angoisse de déplaire et de se faire virer par un salaud de l’étage du dessus. Pire encore, finir par devenir l’automate complaisant qui arrive à aimer ce qu’il fait, à en faire une sorte d’idéal du rien et ne pas tarir d’éloges aux réunions de famille sur son travail ! Et dans un geste d’orgueil, le pauvre type montre son bien, sa maison, ses meubles, son jardin et qui a fait de lui ce qu’il est : un parfait bourgeois.
J’ai cru longtemps que tournoyer dans des salons où l’on papote du genre Facebook, se faire des amis qu’on ne voit pas, pouvait être une chaîne raffermissant les volontés et ainsi exprimer tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Sous le pseudonyme de Richard3, j’ai même fermé les yeux sur les utilisateurs sans imagination qui me piquaient des textes sans autorisation, dans une sorte de complaisance qui pouvait faire avancer le schmilblick.
Il faut payer pour s’y faire beaucoup de lecteurs et avoir de l’audience. Sinon, vous tombez sur des gens semblables à vous et pourtant différents, avec des égos qui font de l’ombre au vôtre.
En-dehors de se montrer hostile et destructeur à son petit niveau, il reste la question d’adhérer à une vraie opposition structurée, un parti politique en-dehors des structures d’un État libéral, d’une pseudo-gauche à une droite affirmée.
Il n’y en a pas beaucoup.
Adhérer empêche de sombrer dans la déprime. Militer redonne le sentiment de se rendre utile à une cause que l’on défend, d’exister enfin…
J’ai l’impression que par le cheminement de la pensée, j’en arrive à me faire propagandiste, moi qui ai toujours eu les pires difficultés à me convaincre d’abandonner le chichi du détail, la nuance subtile pour intégrer un groupe et chanter l’Internationale, le poing levé, sans me trouver mal à l’aise, des fois que là-aussi, je risquais d’être baisé.

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